C'est vrai : la revue était différente. J'ai beaucoup entendu de critiques à l'époque. Notre pari, finalement raté puisque COM a fermé, était de continuer à offrir une alternative aux points de vue dominants sur les jdr de l'époque.
COM était bien dès sa création un magazine alternatif, mais qui offrait une alternative assez sombre qui avait trouvé un large publique d'habitués (dont j'étais d'ailleurs). Nous pensions qu'offrir une alternative plus légère, à la Animonde (vous vous rappelez d'Animonde:
http://www.legrog.org/jeux/animonde/animonde-fr?), ou à la Sherlock Holmes Détective Conseil (
https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Sherloc ... ve_conseil) avait un sens. Nous avions sous estimé la capacité de lecteurs habitués à Trauma à accepter notre univers ; l'image de COM était peut être plus marquée "sombre" qu'alternatif au sens large. Nous n'avons pas convaincu les anciens ni trouvé un nouveau publique.
A postériori je me demande d'ailleurs s'il y avait un publique beaucoup plus grand que nous cinq pour une version futile et narative des jdr... je m'en était convaincu jusqu'à l'émergence récente de jeux très narratifs, ou en tout cas de jeux encourageant une collaboration entre joueurs et DM, plutôt que basés sur une opposition. Je me désespérais à jouer en petit comité à SOAP
http://www.legrog.org/jeux/soap depuis des années quand j'ai vu arriver des jeux comme GSS
http://starlinepublishing.com/wp-conten ... ishing.pdf avec plaisir : il y a en tout cas une place pour ce genre de thèmes aujourd'hui. Peut être étions-nous tout simplement un peu trop modernes ;{)}
[suite à un échange par mail avec Maitresinh, je poste ici le récit de mon experience de jdr "autour" de COM]
J'ai commencé les jdr avec D&D (la fameuse boîte rouge avec les dés en plastique bleu) lorsque j'avais 11 ans. C'était au début des années 80. Je suis passé à AD&D quelques années plus tard, ce qui m'a forcé à faire de gros efforts en anglais. Je passais souvent à Jeux Descartes, qui était à l'emplacement de l'actuel crocodisque et avait une petite mezzanine où étaient stockées les figurines en haut d'un escalier en fer tremblottant. C'est là que les fans se retrouvaient pour interpréter les règles finalement très vagues de Gygax. C'est sans doute là que j'ai commencé à réaliser que les règles n'étaient pas si importantes ; le consensus entre joueurs domine (j'inclue le DM dans les joueurs).
Assez rapidement j'ai fait ce que je pouvais pour participer à des parties un peu expérimentales. Je ne faisait pas le malin, mais j'étais là. Je suis aujourd'hui mathématicien, j'aimais les énigmes et les calculs de probabilité, ce qui fait que j'avais mon point de vue sur pas mal de systèmes de jeux. L'idée qu'un système de jeux pouvait influencer le comportement des joueurs me fascinait ; j'ai beaucoup joué : rolemaster, travelers, stormbringer, etc. En parallèle les systèmes sans tirage de dés m'intéressaient aussi, je faisais un peu de théâtre, et participais aux championnats de Diplomatie à un niveau convenable.
L'idée d'explorer des thèmes de jeux très différents me plaisait aussi beaucoup ; c'est par les tortues ninja (TMNT) que je me suis retrouvé représentant de Palladium games en Europe. Ce n'était pas grand chose : lorsque je voulais aller à une convention, je leur disais et il me payaient le billet et l'hôtel (souvent je ne faisais qu'un aller-et-retour dans la journée) ; ils m'envoyaient toutes leurs nouveautés. Les conventions m'ont beaucoup fait réfléchir au milieu des jdr ; les campagnes parisiennes un peu branchées n'avaient rien à voir avec des parties à la campagne, avec des ados ou de jeunes adultes, très renfermés sur leur groupe. C'était le début des saillies médiatiques contre les jdr, cela me préoccupait. J'ai beaucoup pratiqué de narratif à cette époque, un peu pour leur montrer qu'ils n'avaient pas besoin de se flétrir autour d'une pile de bouquins de règles, mais qu'ils pouvaient ensemble créer, et que tout cela devait rester futile. Cela n'a pas toujours été bien reçu...
J'étais surtout DM, je faisais des campagnes thématiques ; souvent autour des films ou de livres que mon groupe avait aimé. Mais ils n'incarnaient jamais les héros, ils sentaient les choses se produire, de loin, sans y participer, ils étaient dans l'anecdote, à coté de la grande histoire. J'écrivais mes campagnes, je dessinais un peu, et je me baladais partout avec un sac en plastique plein de scénars. Comme tout DM besogneux j'avais créé mon système de règles, très simple, au cas où.
Bien entendu j'ai été frappé de plein fouet par les jeux à la française : animonde, rêve de dragon, in nomine satanis, etc. Mais aussi par la débauche de jeux qui débarquaient des US : cars, battletech, robotech, etc. J'adorais essayer de nouveaux jeux pour comprendre comment règles et ambiance communiquaient.
Je n'était pas très visible, mais toujours en arrière plan ; un peu comme ces acteurs de seconde zone qui se retrouvent tout de même dans beaucoup de films.
A l'époque j'étais dans une grande école et je participais à pas mal d'événements. C'est à ce moment là que j'ai été contacté par deux joueurs du CLD. le Club Loisir Dauphine ; c'est là qu'il faillait avoir ses entrées pour jouer aux jeux de figurines, ils en avaient des tonnes et les prêtaient pour une soirée. J'adorais la guerre du Péloponnèse, j'y passais souvent. Bruno Giraudon m'a dit qu'ils avaient repris Chroniques d'Outre Monde ; le numéro du lapin était déjà sorti, et il se trouve que j'avais bien aimé. Ce qu'il m'a dit correspondait à ce que j'avais en tête ; ils voulaient conserver un esprit alternatif, mais plus narratif et plus léger. J'étais convaincu qu'il y avait une place pour une version différentes des jdr, et je croyais que les lecteurs de l'ancien COM pourraient nous suivre sur ce terrain là. Des thèmes plus connectés au monde qui nous entoure, ou au contraire des trucs délirants, un peu décousus selon les critères habituels (vous vous rappelez : porte, monstre, trésor). J'avais une rubrique dans laquelle je faisais la promo d'un système de jeux que j'avais trouvé dans les cartons bradés à 10 francs des boutiques de l'époque : Game in Blue et L'oeuf Cube surtout. Pour moi tous les systèmes de jeux se valaient.
En terme de scénario j'étais plutôt dans la déconstruction : je jetais des bribes très construites de fragments de scénario sur papier. Je détestais l'idée que tous les lecteurs risquaient faire la même partie sur un de mes scénars. Ou que ceux qui lisaient un numéro ne pourraient plus jouer mon idée. Alors je laissais de l'espace pour que le DM s'implique. Je sais que ce n'était pas apprécié par tous les lecteurs.
J'ai lu l'interview de Christian Lehmann, il semble nous reprocher de ne pas avoir tenté de contacter l'ancienne équipe. Ce que je savais à l'époque, c'est ce qu'il a relaté : ça c'était mal passé pour eux avec l'éditeur, et le repreneur voulait surtout avoir un numéro de commission paritaire. Si on ne perdait pas d'argent, ça lui suffisait. Je me doutais que nos prédécesseurs n'étaient pas contents, nous n'avions pas le même style. J'aimais beaucoup COM première version, pour son coté alternatif, mais je le trouvais trop édité, trop construit. Je n'allais pas les rencontrer pour qu'ils me disent que l'idée du lapin était nulle, et que nous prenions tout cela trop à la légère. Pour moi c'était léger, et j'étais content de tenter de passer cette légèreté aux lecteurs.
Nous avions notre rythme, des comités de rédaction au Mondrian, Bd Saint Germain, les discussions avec les illustrateurs, ou entre nous pour choisir des thèmes, discuter des scénars ou faire des rubriques thématiques. Nous avions pensé à publier des romans en épisodes mais ce n'était pas du gout de tout le monde, personnellement j'y étais favorable. Du coté de l'éditeur ce n'était pas toujours top : parfois les dessins de fond avaient un tellement mauvais contraste qu'on avait du mal à lire nos textes... Nous faisions de notre mieux pour qu'il consacre de l'énergie à COM mais ce n'était pas sa top priorité. Coups de fils et parfois coups de gueule, il y avait des hauts et des bas.
Puis les numéros se sont espacés et j'étais happé par mes études. Les modèles mathématiques remplaçaient les systèmes de jeux dans mes réflexions, je me spécialisais en théorie des probabilités et en systèmes d'apprentissage.
Bref c'était la fin de mon aventure à Chroniques. Je continuais à jouer avec de très bons amis, mais j'ai arrêté les conventions, sauf occasions spéciales. J'ai peu à peu fait de moins en moins de jdr. De temps en temps j'écris sans la signer une extension d'une douzaine de pages pour un jeu existant et je la dépose discrètement en téléchargement libre sur un site quelconque. Avec internet et les logiciels de mise en page c'est assez facile. A mon avis ça touche au plus une douzaine de personnes à chaque fois. Jamais les mêmes j'espère. Je fais des exercices assez marrants, du genre utiliser une même trame scénaristique pour écrire trois aventures différentes, pour trois époques ou ambiances différentes. Mais je ne joue presque plus. Mes enfants sont grands, ça m'a fait très plaisir de les emmener à Descartes et à L'oeuf Cube lorsqu'ils étaient plus jeunes, nous avons joué une fois au deux à Dungeon World, mais ils n'ont pas accroché. En revanche les jeux narratifs, comme "Il était une fois" ou les Storycubes fonctionnent bien avec eux. Je trouve que les Storycubes sont une très bonne idée ; j'ai acheté 24 dés vierges pour 4 euros sur amazon il y a quelques mois, et je les ai offerts avec des marqueurs à mes enfants. Si vous préférez, vous pouvez aussi acheter 9 cubes déjà dessinés par un designer pour une quinzaine d'euros...
Je suis surpris de voir mon fils jouer en ligne à des jeux comme Garry's Mod, où le roleplay est très présent. Comme quoi le roleplay a survécu aux livres dont vous êtes le héros, à Magic et à Lord of Warcraft.
Les imprimantes 3D sont un super outil pour les rôlistes ; je continue à espérer que bientôt tout groupe pourra se retrouver et commencer par créer le jeu auquel ils joueront la semaine suivante. Les créateurs d'Apocalypse World et de Dungeon World on compris quelque chose sur les mécanismes d'une partie. Il doit y avoir un fil narratif non linéaire, avec lequel les joueurs peuvent interagir, parfois facilement, parfois en abandonnant quelque chose de précieux, et d'autres fois en la détruisant partiellement. C'est peut être le seul secret des jdr, et maintenant il est dans le domaine publique.