Je me pose aussi souvent la question en ces termes, pour d'autres objets historiques. Une sorte de "Syndrome du Haut chateau": notre réalité historique est elle la plus probable ?Pour l'empire carolingien, j'ai souvent pensé que cet empire était exceptionnel dans le sens où beaucoup de raisons auraient pu empêché son avènement, l'empire carolingien serait comme une sorte d'uchronie réalisée. J'inverse donc le problème par rapport à vous, je me pose plus la question du pourquoi cet empire a vu le jour, plutôt que pourquoi il a disparu. Mais ce faisant on répond à la question : il a disparu parce que c'était déjà assez exceptionnel qu'il apparaisse, sans demander en plus qu'il dure 1000 ans de plus.
En fait, je pense que ça revient à se poser tjrs la meme question, celle du contingent et du nécessaire. En ce qui me concerne, quand je me la pose, j'ai plutot tendance a dire que notre réalité n'est pas la plus probable (a court terme au moins), a cause du contingent.
Je prend un exemple : l’avènement de la troisième république n'était pas le plus probable. La balance penchait clairement du coté des royalistes, et c'est clairement a cause de leurs désaccords internes que, par défaut, est néée (en fait, "restée") la république.
Donc a ce moment las, tous les possibles étaient la. Mais celui de la république n'était pas le plus évident.
Et ca du coup, c'est interessant, pour moi, car ca remet en question l'idée que ce qui est est devait nécéssairement l'etre.
Donc si je comprend le questionnement, par contre, tu semble l'utiliser pour "effacer" une "anomalie", dans un déroulement général, donc tu fais plutot l'inverse.
Pourquoi pas. Au final, ca revient a poser la question des forces en présence. Peut importe ce qui est advenu, l'essentiel étant de revenir au moment T et d'estimer les possbilités qu'on a tendance a a balayer apres coup car elle ne sont pas advenues.
Alors la, par contre, j'ai un gros probleme avec "l'ethnicisation" des phénomenes, historiques, politiques, etc...justement, quand tu parles de l'afrique, c'est un cas d'école. On a jamais dit que la premiere ou la seconde guerre mondiale était des "Conflits ethniques" (et pour cause) alors qu'on le fait allégrement quand on se place en afrique. Alors qu'en y regardant de plus pres, on voit :
Tu sembles sous-estimer la question ethnico-linguistique, or elle est fondamentale: la survivance d'une certaine romanité (de l'idée impériale, l'utilisation du latin par l'Eglise) est certainement importante pour les gens de l'époque, mais les logiques sont tribales ou familiales : on appartient à une famille noble, à une ethnie (les Francs : ils sont une minorité à se revendiquer vraiment comme tels, et entre eux ils parlent souvent germains alors qu'en France/Gaule on parle le roman). Donc, quand Charlemagne se choisit des auxiliaires pour l'assister dans son gouvernement, il choisit des hommes issus de sa région d'origine et les placent à la tête des évêchés, des comtés... Et lorsqu'un conflit apparaît, comment se forment les alliances ? Suivant les affinités familiales et ethniques.
1- Que les ethnies sont des constructions, endogènes, exogènes (par les observateurs externes), aux limites floues qui évoluent constamment. Exemple : les serbes et les croates parlent basiquement la meme langue. C'est la religion qui les sépare et surtout, leur spécialisation économique, et leur "passifs" historiques.
2- Qu'elles se combinent, s'activent (ou s'effacent) avec des idées politiques, des interets, etc....qui sont bien plus déterminants. Par exemple, si tu prend le saint empire germanique au temps de la guerre de 30 ans, on voit tres bien que le conflit, qui démarre en boheme, n'est absoluement pas liée a un conflit "ethnique" entre germain et tcheque, comme on pourrait le regarder de façon anachronique. La ligne de partage est celle du pouvoir, et donc de la religion, et celle des interets économiques (liée aux deux autres).
Pour rentrer dans le sujet : je pense que si le facteur a pu jouer, c'est pour l'essentiel anachronique. La romanité n'est pas vu alors comme une "autre culture", mais comme le pole de civilisation légitime. D'ailleurs, dans la continuité de l'empire, c'est d'abord un systeme de civilisation, de droit, de culture, et la langue ne vient qu'apres. Les "gaulois" sont bien devenus - se disent - "romains" a l'époque dont on parle (les élites ont adopté leur langue, meme abatardie, mais d'abord leur civilisation et l'identité qui va avec). Pour les francs, c'est pareil.
Sauf que la pénétration est plus tardive, et donc, il n'y a pas le meme processus d'acculturation linguistique (je note quand meme que toute l'artisotcratie germanique, jusqu'au XVIII, parlait français dans les cours, donc si on avait lancé du temps au latin....).
Charlemagne (et les francs) veulent etre des romains (en fait au début, il reve de, mais n'osent pas). Cela ne les empeche pas de recruter dans leurs clans sur le plan militaire, mais ils ne sont pas dans une logique ethnique, plutot barbare-familiale. D'ailleurs, Charlemagne encourage le multilinguisme dans l'aristocratie dirigeante( d'ou l’exemple que tu cites).
Ce qui n'empeche pas que tout ce que tu pointes comme probleme fait, sens, mais ils ne s'identifient pas, je pense, pour les acteurs, a des problemes "ethniques", mais des enjeux de pouvoirs traditionnels. Ce qui n'exclu pas non plus que l'empire ait pu les dépasser...et apres tout il les a bien dépassés, puisqu'il n'a disparu qu'a l'aube du XIXe !
En fait, la question est donc "que serait il devenu si La partie ouest- la partie la plus romanisée - était restée en son sein a défaut de partition. ?" Je ne parle pas de la partie centrale, qui a été assez vite re-intégrée, et d'ailleurs, le statue de la francie n'était pas aussi distinct que ca du reste de l'empire au début, on restait en famille, et les terminologies sur ces territoires le montrent bien. Il suffisait de quelques mariages ou alliances bien menées ou re-intégrer la francie, qui en fait, a pris le large petit a petit comme entitée.
Pour ce que tu décrits a plus long terme, personnellement, ce qui m'interesse ce sont les "conditions des possibles" qui se posent à un moment. Se projeter dans le temps est plus intéressant sur le plan de l'imaginaire, moins sur cet aspect. Mais je trouve la comparaison chine/japon Europe/Grande bretagne intéressante.
Mais je ne suis pas sur. Le pouvoir politique est structurement morcelé et faible en Europe au haut moyen age (et particulierement au sein de l'empire !). Donc ca n'empeche pas du tout la concurrence interne qui (selon Duby aussi) créé cette émulation/libération du commerce, évolution. D'ailleurs, la encore, elle se produit surtout en Europe centrale, c'est à dire encore une fois, dans l'empire (et pas qu'en Angleterre...: les auteurs anglo-saxon ont la aussi une certaine tendance a la téléologie et a l'auto-célébration, il me semble).
Donc une Europe sans phénomène national qui émerge, l'aurait finalement vu émergé seulement....au royaume-uni (encore que bien limité, puisqu'on est dans une Union de Couronnes). Si on suit la logique de ces théories, la "France" en aurait profité, au moins sur sa frange est/sud, qui se développe "en réseau" sur le mode germanique, avec un territoire moins centralisé politiquement. Lyon, peut etre dijon ou Troyes deviennent de grandes métropoles. Le catharisme aura probablement plus d'espace pour s'affirmer (peut etre avec une guerre de trente ans plus large ou plus tot ?).
Comme l'empire ne s'identifie pas a la germanité, il reste "roman tout court". Il y a une continuité mémorielle et identitaire (comme pour la chine). Ca n'empeche pas, je pense, le vieux français d'évoluer dans le meme sens. Le plus probable est que l'empire n'ait pas tant d'implication politiques que ca jusqu'au début de l'emergeance des états nations vers, le 16eme siecle. Arrivés la, apres une divergeance de 5 bons siecles, qui peut dire ce qui se passe pendant tout ce temps, si sur le plan politique la "romanité" reste la référence commune ou non et ce qu'il se passe lorsqu'on rentre dans la renaissance, la découverte des amériques (en supposant que l’Espagne émerge et devient l'autre nation).